La perception des odeurs fait également intervenir son lot de protéines. À l’origine du phénomène, il y a l’interaction entre les molécules odorantes, des composés chimiques volatils véhiculés dans l’air inhalé, et les neurones olfactifs situés au fond des narines (dans la partie supérieure de la cavité nasale), dans ce qu’on appelle le bulbe olfactif. Cette zone est recouverte d’un mucus riche en protéines de transport des molécules odorantes (Odorant Binding Proteins, dites aussi OBP). Ancrés dans la surface de chacun de ces neurones olfactifs, on va retrouver des récepteurs, qui seront cette fois spécifiques pour les molécules odorantes : les Récepteurs Olfactifs (RO pour les intimes).

Les OBP permettent aux molécules odorantes de parvenir jusqu’à la surface des neurones et ainsi d’interagir avec un RO. Ces petites molécules sont en effet très peu solubles dans le mucus et les OBP leur serviront donc de petit taxi personnel afin de les mener à bon port. Il est également possible que ces protéines jouent un rôle de filtre, en transportant chaque molécule odorante vers le récepteur le mieux adapté, afin d’éviter une saturation des récepteurs.

OTP
Les protéines de transport des odorants peuvent présenter des structures variées, comme par exemple l’OBP de porc (code pdb 1E00) à gauche, dont les feuillets en tonneau β entourent la molécule odorantes (en rouge), ou encore l’OBP20 du moustique (code pdb 3V2L), à droite, qui est elle formée d’hélices α.

Quant aux récepteurs olfactifs, cette grande famille protéique a été découverte en 1991 par Linda Buck et Richard Axel et leur a valu un prix Nobel de médecine en 2004. Chez l’être humain on dénombre près de 400 récepteurs olfactifs distincts. Bien que ces protéines présentent toutes une structure similaire, soit un ensemble de sept hélices α reliées par des boucles et insérées dans la membrane lipidique à la surface des neurones olfactifs, elles vont néanmoins présenter des affinités différentes, et plus ou moins importantes, pour les diverses molécules odorantes susceptibles de se fixer sur elles. Un récepteur donné peut donc interagir, mais de manière plus ou moins forte, avec plusieurs molécules odorantes, et, inversement, une même molécule odorante peut activer, plus ou moins intensément, tout un panel de récepteurs olfactifs distincts.

RO
Contrairement aux OBP, les récepteurs olfactifs présentent tous une structure similaire composée de sept hélices α insérées dans la membrane lipidique du neurone olfactif, et reliées entre elles par des boucles flexibles.

Au final, quand nous percevons l’odeur d’une molécule, il s’agit de la combinaison unique des RO (sur les 400 que nous possédons) qui seront activés par ladite molécule dans le bulbe olfactif. Le nombre très élevé de combinaison possibles explique la très grand variété d’odeurs que nous sommes capables de percevoir et qui est estimée à plus de 10 000 pour un nez entraîné. Néanmoins, les performances humaines resteront toujours très en deçà de celles des champions de l’odorat que sont les rats et les chiens, que la nature a respectivement dotés de près de 900 et 1200 récepteurs olfactifs distincts.

Notre compréhension du lien entre la taille, la forme d’une molécule odorante et les fonctions chimiques qu’elle peut porter d’une part, et la façon dont elle va interagir avec les différents RO d’autre part, reste encore balbutiante. La nature regorge de composés présentant des structures proches et des odeurs voisines (jusqu’ici tout va bien), de composés présentant des structures proches et des odeurs différentes (là, ça se corse un peu), ou encore de composés avec des structures très différentes mais des odeurs néanmoins proches (non mais on peut savoir ce que c’est que ce dawa !).

Un des exemples les plus frappants concerne les paires d’énantiomères dans le cas des molécules chirales. Ces composés sont l’image l’un de l’autre dans un miroir et néanmoins non superposables l’un sur l’autre, à la manière de nos mains gauche et droite (le mot chiral vient d’ailleurs du mot grec cheir pour la main). Deux énantiomères auront donc des formules chimiques rigoureusement identiques et des formes très proches. Et pourtant, il arrive fréquemment que les membres d’un couple d’énantiomères aient des odeurs très différentes, comme si nos récepteurs olfactifs étaient tapissés de petits gants gauches ou droits. C’est par exemple le cas de l’infortunée molécule de la figure suivante, dont la version droite présente une odeur fraîche et plaisante de pamplemousse, tandis que sa version gauche est perçue comme ayant une odeur soufrée particulièrement nauséabonde !

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Le verdict du miroir à odeurs protéique est souvent impitoyable.