Pour comprendre nos connaissances actuelles sur les récepteurs membranaires je vous propose de suivre la longue histoire du récepteur nicotinique de l’acétylcholine, avec quelques bonds dans le temps.
Notre histoire commence au Collège de France, au milieu du 19ème siècle. Claude Bernard y a prouvé que les curares bloquent la transmission synaptique au niveau de la jonction entre les neurones et les muscles, paralysant ainsi le muscle, comme il le présente en 1857. Les curares, quant à eux, étaient connus en occident depuis le 16ème siècle et leur « découverte » par des explorateurs espagnols en Amérique du Sud. En effet, les curares y étaient utilisés par les tribus locales pour la chasse. Une utilisation similaire de ces molécules a également été signalée en Afrique, et en Malaisie.
Mais toutes ces informations étaient difficiles à interpréter, car on ne connaissait pas la molécule «cible» des curares, avec laquelle ceux-ci interagissent au sein de l’organisme. La notion même de récepteur n’a émergé qu’en 1906, à nouveau grâce aux toxines, un récepteur étant alors défini comme « la substance réceptive au curare et à la nicotine« . Cette cible n’a été isolée qu’en 1970 par Jean-Pierre Changeux à l’institut Pasteur (avant de rejoindre lui aussi le Collège de France). Comment ? Grâce à une autre toxine: la bungarotoxine. Ce composé, qui permet au serpent de paralyser sa proie, a une très forte affinité pour le récepteur nicotinique, ce qui a permis de l’isoler des autres molécules.
Vu de près, les récepteurs nicotiniques sont des canaux ioniques, c’est à dire de protéines insérées dans la membrane cellulaire, et à travers lesquels des ions vont pouvoir passer lorsque le récepteur est activé par un agoniste comme l’acétycholine ou la nicotine (le canal se retrouve alors dans une forme ouverte). S’il est exposé à des antagonistes, curare ou bungarotoxine, le récepteur adoptera au contraire une structure fermée, empêchant ainsi le passage d’ions à travers la membrane cellulaire
Penchons nous maintenant sur la nicotine, qui donne son nom au récepteur. La nicotine est une molécule hautement toxique, pour lequel il a été proposé qu’il constitue un avantage évolutif pour les plantes de tabac, en jouant le rôle d’insecticide. D’ailleurs, le tabac a été utilisé comme insecticide pendant des siècles, peut-être dès 1690. La nicotine est également importante médicalement parce qu’elle est considérée comme responsable de la dépendance au tabac par la stimulation de récepteurs nicotiniques dans le « circuit de la récompense« .
Le récepteur nicotinique dans tous ses états (image de Natacha Gillet)