Nous avons déjà vu que la nature est richement dotée en terme de poisons naturels, et parallèlement à l’apparition de ces toxines, un certain nombre d’espèces animales ont évolué pour résister à celles-ci. Ce phénomène est observé chez les espèces venimeuses elles-mêmes, dont les protéines récepteurs, qui sont ciblées par le venin, ont été légèrement modifiées afin qu’un animal ne s’auto-empoisonne pas (ça peut arriver à tout le monde de se mordre la langue par erreur, mais si vous êtes un cobra c’est un peu plus gênant). C’est notamment le cas chez les dendrobates, ces petites grenouilles toxiques d’Amérique du sud, et plusieurs espèces de serpents sont également immunisées contre leurs propres morsures.
Mais cette immunité contre les venins peut également apparaître chez d’autres espèces, qui seront souvent des prédateurs ou des proies potentielles de l’espèce venimeuse. L’intérêt des proies à développer cette immunité est assez évident, puisqu’elle leur permet d’améliorer leur chances de survie face au prédateur, et c’est ainsi que certains petits rongeurs d’Amérique du nord sont immunisés contre les morsures de serpents.
Inversement, on peut voir des prédateurs développer une immunité contre le poison de leurs proies. Cette stratégie de niche assure au prédateur des ressources qu’il n’aura pas à partager avec d’autres espèces de son écosystème qui auraient un régime alimentaire proche du sien. Un cas assez impressionnant est celui du ratel, dit aussi zorille du cap, ou blaireau à miel en anglais (honey badger), que l’on peut également qualifier de mammifère le plus teigneux que la création ait jamais connu. Ce mustélidé que l’on peut rencontrer en Afrique subsaharienne, en Inde et dans la péninsule arabique, est en effet réputé pour être particulièrement agressif. Il n’hésitera pas à attaquer des prédateurs plus gros que lui, tels que des lions ou des hyènes, pour défendre ses propres proies. Si bien qu’il y a quelques années, cette petite boule de haine pure est passée à la postérité via une vidéo Youtube virale montrant l’animal attaquant tout ce qui bouge, qui a popularisée l’expression Honey Badger don’t care, que l’on pourrait traduire librement par Le ratel s’en bat les steaks.

Mais si le ratel passionne les biochimistes, c’est surtout du fait de son immunité au venin des serpents et scorpions qui représentent près du quart de leur alimentation. Les recherches scientifiques ont montré que, comme pour les dendrobates, cette immunité résulte de petites mutations dans le récepteur nicotinique de l’acetylcholine, la protéine sur laquelle se fixent d’ordinaire les toxines présentes dans les venins. On retrouve également les mêmes mutations chez le récepteur du cochon domestique, ce qui représente un exemple amusant d’évolution convergente chez deux espèces éloignées.
Une autre stratégie rencontrée dans le monde animal pour résister aux empoisonnements consiste à développer des molécules qui vont neutraliser les toxines présentes dans le venin. C’est ainsi que l’oppossum de Virginie parvient à résister à la morsure de certains serpents. Récemment, des équipes de recherche américaines ont réussi à isoler un petit peptide dérivé des protéines produites par ce marsupial, et ont montré que ce composé était lui aussi capable de mettre KO les toxines issues de plusieurs venins différents. Ces recherches ouvrent donc de nouvelles perspectives pour la conception d’un anti-venin générique contre les morsures de serpents, qui concernent chaque année plusieurs milliers de personnes sur le seul territoire américain.
Dans un cas comme dans l’autre, l’apparition d’une résistance au venin est un bel exemple de co-évolution entre deux espèces, et surtout au sein du couple de protéines de ces deux espèces qui vont interagir. À savoir que l’évolution d’une des protéines est susceptible d’induire à terme l’évolution de l’autre. Chez le ratel, les récepteurs ont évolué pour ne plus êtres sensibles aux toxines produites par les proies dont il se régale. Mais il n’est pas impossible qu’un jour un serpent se mettre à produire une toxine efficace sur le ratel, ce qui lui évitera de se faire dévorer… jusqu’à ce qu’un ratel produise à son tour un récepteur mutant et insensible à cette nouvelle toxine…
Entre proies et prédateurs, c’est donc bien à une véritable course à l’armement protéique que l’on assiste, mais , évolution oblige, on avance à un train de sénateur !