On l’a déjà vu chez le ratel, dans le vivant la guerre entre proies et prédateurs se fait souvent par protéines interposées. Mais il arrive aussi que l’on observe des coalitions inattendues entre des espèces ennemies.
Les lépidoptères (le groupe d’insectes qui comprend les papillons et les mites) peuvent souvent être victimes d’espèces parasitaires (mouches ou guêpes), qui pondent leurs oeufs dans le corps des chenilles. Après éclosion, les larves de parasite vont se servir de la chenille hôte comme garde manger jusqu’à atteindre leur maturité. Si ce mode de développement semble assez peu ragoutant, il est pourtant particulièrement utile quand il s’agit de protéger certaines récoltes. Et c’est ainsi qu’une petite guêpe parasitaire a été exploitée comme outil de lutte biologique contre les insectes ravageurs de culture.
La guerre biologique contre les chenilles peut également passer par l’utilisation de virus susceptibles d’infecter celles-ci. C’est par exemple le cas de certains baculovirus (une famille de virus qui attaquent spécifiquement les arthropodes) qui sont commercialisés comme biopesticides.
Face à ces attaques, certaines espèces de papillons ont décidé de suivre l’adage De deux maux il faut choisir le moindre, en forgeant une alliance avec la #TeamVirus. Une équipe d’entomologistes japonaise a ainsi découvert que certaines chenilles présentaient une résistance accrue aux guêpes parasitaires lorsqu’elles avaient été au préalable infectées par un entomopoxvirus (un cousin de notre variole, mais spécifique aux insectes). Dans les chenilles infectées le développement des larves de parasites est fortement ralenti par rapport à celui observé dans les chenilles saines. En creusant un peu plus, nos chercheur·se·s se sont aperçus que les chenilles infectées produisaient un ensemble de protéines (nommées PKF, comme Parasitoid Killing Factors, facteurs de mort des parasites) toxiques pour les guêpes parasitaires. Les recherches ont ensuite montré que ces PKF peuvent êtres produites par plusieurs espèces de virus, mais également par certains lépidoptères. Ceux-ci ont probablement acquis ce pouvoir de résistance via un transfert de gène d’un virus vers l’insecte, ce qui laisse supposer que cette alliance virus-papillon ne date pas d’hier et a une longue histoire évolutive.

Toutes les séquences de PKF identifiées ont en commun de présenter un domaine de type endonuclease (comme le célèbre CRISPR-Cas9), et une répétition de domaines riches en cystéines (comme les protéines aux doigts de zinc), ce qui signifie qu’elles sont capables de découper l’ADN ou l’ARN. En pratique, l’injection de PKF aux larves de parasites va entraîner un phénomène d’apoptose, où les cellules se mettent en mode auto-destruction.

Malheureusement pour nos papillons, les ententes politiques sont souvent de courte durée, et on n’est jamais à l’abri d’une trahison de ses allié·e·s. En l’occurence, l’infection par un virus ne garantit par de protection contre toutes les espèces de parasites. Pire encore, dans certains cas il semble que la présence de PKFs dans la chenille va favoriser le développement de larves d’une espèce de parasite au détriment des autres. De plus, il existe également des espèces de virus qui se sont quant à elles associées à des guêpes parasitaires en leur transmettant des protéines capables d’inhiber les défense immunitaires des chenilles.
Décidément dans le vivant, quand on joue à Game of Prots il faut savoir rester vigilant à chaque instant !
Un article très intéressant ! Je ne connaissais pas du tout ce mécanisme des PKF.
Pour plus de trahisons côté guêpes parasitoïdes, on peut aller regarder du côté des Chrysididae ou « guêpes coucous », qui ont choisi d’être des guêpes parasitoïdes … d’autres guêpes parasitoïdes.
Certaines de ces guêpes coucous pondent donc leurs propres oeufs dans les nids de guêpes parasitoïdes. La larve de guêpe coucou éclora la première, et profitera donc d’un double garde-manger : la chenille ou l’araignée destinée à la larve de guêpe-hôte, et … l’oeuf de l’hôte en question.
Et pour revenir à la biochimie, quelques petites malines poussent même l’art du subterfuge jusqu’à imiter l’odeur de l’hôte.
J’aimeJ’aime