Avec son joli nom de biscotte suédoise, difficile de passer à côté de cette biotechnologie qui fait la une de la science depuis maintenant quelques années. Mais au fait, ça veut dire quoi CRISPR-Cas9 ?
Commençons par le commencement, CRISPR (on prononce krisper), c’est un acronyme pour Clustered Regular Interspaced Short Palindromic Repeats, soit des courtes répétitions palindromiques regroupées et espacées régulièrement (à vos souhaits). En gros il s’agit de petites séquences d’ADN lisibles dans les deux sens (comme un palindrome) et qui sont caractéristiques de l’ADN viral.
Cas9 (CRISPR associated protein 9) c’est une protéine (What else ?), plus précisément c’est une endonucléase, une enzyme qui a la faculté de découper l’ADN à un endroit bien précis qui va lui être indiqué par le fragment d’ARN auquel elle est associée. À l’origine, le système CRISPR-Cas9 était exploité dans le système immunitaire des bactéries. Munie de son ARN de type CRISPR, Cas9 part faire des confettis de l’ADN viral, et celui-ci se retrouve ventilé façon puzzle avant que le virus ait pu attaquer la cellule infectée. En 2012, les chercheuses Jennifer Doudna et Emmanuelle Charpentier ont compris comment hacker ce système. Pour envoyer Cas9 découper l’ADN à l’endroit exact que l’on souhaite dans le génome, il suffit de lui fournir le fragment d’ARN complémentaire et hop ! Notre binôme se met en route !

À l’époque, des technologies d’édition du génome existaient déjà, qui mettaient elles aussi en jeu d’autres variétés de nucléases. Mais CRISPR-Cas9 s’est vite avérée être nettement plus précise que ses concurrentes, tout en étant plus simple et moins coûteuse à mettre en œuvre. En effet, jusque là il fallait produire une protéine spécifique pour chacune des séquences d’ADN que l’on souhaitait découper, un processus qui pouvait prendre plusieurs mois et coûter quelques dizaines de milliers d’euros. Désormais, il suffit de changer le brin d’ARN associé à Cas9 pour la reprogrammer vers une nouvelle cible, ce qui peut se faire en quelques semaines et pour des sommes dix fois inférieures. Finalement CRISPR-Cas9 est aux autres technologies d’édition du génome ce que l’imprimerie à caractères mobiles fut en son temps aux matrices de bois à usage unique…
On comprend donc aisément pourquoi la technologie s’est diffusée à vitesse grand V dans les laboratoires de recherche. Les applications de CRISPR-Cas9 se sont rapidement multipliées (seulement 5 ans après sa publication, l’article d’origine de Doudna et Charpentier avait déjà été cité 2500 fois), et en 2015, CRISPR-CAS9 était nommée Avancée scientifique de l’année par le très prestigieux magazine Science. Il faut dire que cette année-là les chercheur·se·s avaient frappé fort en terme d’application, avec trois articles simultanés (publiés dans Science justement) montrant comment CRISPR-Cas9 pouvait être utilisé pour soigner des souris atteintes de myopathie de Duchenne. Dans cette maladie, le gène codant pour la dystrophine (une protéine essentielle pour la contraction musculaire) est endommagé, ce qui entraîne un affaiblissement musculaire éventuellement fatal aux malades. CRISPR-Cas9 a donc été programmé pour retirer le fragment endommagé du gène du brin d’ADN. Ce traitement a alors permis de restaurer la fabrication de la dystrophine par une fraction des cellules musculaires chez les souris traitées, ce qui a abouti à une amélioration visible de leur état.
Cette technologie ouvre donc des perspectives inédites en termes de thérapie génique dans le cadre de la lutte contre les maladies associées à un gène particulier. Néanmoins, on ne sait pas encore si Cas9 se contente toujours de découper sa séquence cible, et elle seule, où si l’enzyme est également susceptible d’attaquer l’ADN à d’autres emplacements (comportant des séquences proches de celles de la cible d’origine), ce qui pourrait avoir des conséquences imprévisibles (et potentiellement désagréables) pour les organismes traités.
Mais comme dit le sage, Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités. En l’occurrence, parce qu’elle ouvre la porte à de possibles modifications du génome humain, CRISPR-Cas9 apporte avec elle son lot de questions éthiques sur lesquelles il faudra bien entendu se pencher avant une éventuelle généralisation de son utilisation.
Épilogue : Le 7 octobre 2020, le Prix Nobel de Chimie a été décerné à Jennifer Doudna et Emmanuelle Charpentier, pour le développement d’une méthode d’édition du génome.
Pour en savoir plus :
- Pour des explications sur CRISPR-Cas9 avec des dessins (vraiment) drôles, on peut également consulter le toujours excellent blog de Marion Montaigne.
- Un article plus détaillé (et en français) sur le blog d’Alexis Verger.