Si l’expression Faire la moule sur son rocher ne vous inspire que mépris pour nos amies bivalves, sachez que leur capacité à adhérer en toute saison à des surfaces humides, incrustées de sel, corrodées et gluantes relève pourtant de l’exploit technologique à faire baver tous les ingénieurs, et ce qu’ils soient mollusques ou humains. En effet, la production d’une colle tout terrain pourrait avoir des implications dans l’industrie navale, pour réparer les coques des bateaux avec un matériau résistant à l’eau de mer. Et dans le domaine médical, un adhésif sans solvant toxique servirait à fermer des plaies sans suture et à fabriquer des pansements adhérant même en milieu humide.

À l’origine de cette performance adhésive, il y a le byssus, plus couramment appelé barbe, un ensemble de filaments qui permet au coquillage de s’accrocher à son rocher et que l’on retrouve chez plusieurs espèces de bivalves, la moule donc, mais aussi par exemple les coquilles Saint Jacques. Ainsi en Méditerranée, le byssus des grandes nacres (un coquillage géant ancré dans les fond marins) était-il connu dès l’antiquité sous le nom de soie marine. Et cette matière brune aux reflets dorées aurait même servi à la confection de la toison d’or !

Mais revenons à nos moules ordinaires. Si leur byssus a gagné le droit de figurer sur ce blog, c’est qu’il est composé de protéines, réparties dans une vingtaine de variétés, et dont l’action concertée va permettre à la moule de vivre une grande histoire d’amour avec son rocher d’élection. En première ligne, on trouve la famille des Mfp (pour Mussel Foot Proteins, les protéines du pied de la moule), dont le boulot est d’adhérer à la surface cible. Pour ce faire, les tyrosines de leur séquence ont été modifiées et portent un groupe chimique, la DOPA (dihydroxyphenylalanine), particulièrement collant. Néanmoins ce groupe est très sensible à l’oxygène environnant, qui peut le transformer en dopaquinone nettement moins adhésive. Dans le mélange protéique on va donc également rencontrer la Mfp-6. Son rôle est de servir de protection contre l’oxydation grâce à ses nombreuses cystéines, qui comportent des groupes chimiques thiols (-SH) qui réagiront avec l’oxygène avant les groupes dopa. Une troisième catégorie de protéines (les pvfp, car elles ont d’abord été identifiées dans la variété de moules vertes Perna viridis), a pour mission de nettoyer au préalable la zone où le byssus va se fixer et éloignant les molécules d’eau sur sa surface, ce qui facilitera la fixation des mfp.

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Aux JO protéiques d’hiver, c’est encore une fois la Team Moules qui a raflé toutes les médailles en curling.

Au final, l’adhésion des moules est donc le résultat d’un remarquable travail d’équipe et représente une performance technologique de pointe, pensez-y la prochaine fois que vous dégusterez une grande marmite de celles-ci avec des frites !