Nous avons déjà évoqué l’utilisation de toxines pour la recherche, mais, plus intrigant encore, les toxines peuvent être utilisées dans un cadre médical1 !

Les toxines, ces poisons biologiques, permettent aux organismes qui les produisent de survivre à des situations environnementales difficiles où ils représentent un avantage. Les toxines végétales (par exemple, la nicotine) fonctionnent souvent comme une protection contre certains prédateurs. Chez les animaux, les toxines ont un potentiel de défense similaire et sont également utilisées pour capturer les proies. Et il se trouve que de nombreuses toxines sont des protéines.

Comment passer d’un poison à un médicament? On reprendra la fameuse citation de Paracelse (Philippus Theophrastus Aureolus Bombastus von Hohenheim): La dose fait le poison ou, dans sa version plus complète, Toutes choses sont du poison et rien n’est sans poison. Seule la dose détermine qu’une chose n’est pas un poison. On peut tout de même noter que, nos connaissances ayant évolué depuis le 16ème siècle, ce concept est maintenant débattu… Néanmoins, de nombreuses molécules, issues d’organismes variés, ont été testées dans un contexte médical et certaines le sont toujours2,3:

  • Nous avons déjà parlé du curare, qui est extrait de certaines lianes d’Amazonie, et est utilisé pour la chasse, au chapitre sur la signalisation. Après avoir été testé sur l’homme en 19324, il a été utilisé dès les années 40 comme relaxant musculaire pour faciliter la chirurgie.
  • La toxine botulique (botox pour le marketing) produite par une bactérie (Clostridium botulinum) est quant à elle une grosse protéine qui comprend plus d’un millier d’acides aminés. Elle provoque la paralysie des muscles en bloquant la libération de l’acétylcholine, qui ne pourra donc pas être détectée par le récepteur nicotinique dont nous avons parlé au chapitre sur la signalisation. Elle est utilisée en injection locale pour relâcher certains muscles du visage et faire ainsi disparaître des rides.
  • Un autre bel exemple est la conotoxine, un petit peptide extrait du cône (un escargot marin capable de paralyser ses proies grâce à son venin). Celle-ci bloque un canal ionique impliqué dans la transmission synaptique, notamment sur des neurones impliqués dans des voies de la douleur. Ce peptide a donné un médicament, le Ziconotide, qui a des propriétés analgésiques.
  • Enfin, un dernier exemple est un peptide que l’on retrouve dans le venin du monstre de Gila (un gros lézard venimeux d’Amérique du nord), Exendin-4. Ce peptide a, grâce à sa similitude avec le glucagon, un effet sur la glycémie et est ainsi utilisé dans le cadre du diabète de type 2 (voir le chapitre sur les hormones).
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La petite boutique des horreurs naturelles : parce que tous les poisons sont dans la nature ! (image de Natacha Gillet)

Mais qui protège les empoisonneurs de leurs propres poisons ?

Les dendrobates, ces petites grenouilles aux couleurs vives que l’on peut rencontrer en Amérique du sud sécrètent sur leur peau plusieurs molécules empoisonnées. Parmi elles, la batrachotoxine va se fixer à des récepteurs canaux des cellules nerveuses et musculaires, bloquant ainsi leur fonctionnement, ce qui entraîne à terme la paralysie et la mort. Les dendrobates ne sont pas pour autant condamnées à une vie de solitude, empoisonnant leurs congénères qui auraient le malheur de les approcher de trop près. Elles sont en effet immunisées contre leur propre poison, et ce par la grâce d’une toute petite mutation de rien du tout dans leur version personnelle des récepteurs canaux. Le remplacement d’une asparagine par une thréonine suffit pour empêcher la toxine de se fixer sur sa protéine cible et évite ainsi aux grenouilles de s’auto-empoisonner5.

1. Bisset, N.G. One man’s poison, another man’s medicine? J. Ethnopharmacol. 1991, 32, 71–81
2. Nasiripourdori, A.; Taly V.; Grutter T.; Taly A. From Toxins Targeting Ligand Gated Ion Channels to Therapeutic Molecules. Toxins 2011, 3(3), 260-293; doi:10.3390/toxins3030260.
3. Pastan, I.; Chaudhary, V.; FitzGerald, D.J. Recombinant toxins as novel therapeutic agents. Annu. Rev. Biochem. 1992, 61, 331–354.
4. West, R. (1932). Curare in Man. Proceedings of the Royal Society of Medicine, 25(7), 1107-1116.
5. Single rat muscle Na+ channel mutation confers batrachotoxin autoresistance found in poison-dart frog Phyllobates terribilis, Sho-Ya Wang, Ging Kuo Wang, Proceedings of the National Academy of Sciences Sep 2017, 114 (39) 10491-10496; DOI: 10.1073/pnas.1707873114