On l’a vu dans les premiers billets de ce blog, la grande majorité des protéines possède une structure bien déterminée (par sa séquence en acides aminés) et nécessaire à leur bon fonctionnement au sein de notre organisme. Mais certaines protéines présentent également un côté obscur, à savoir qu’elles peuvent adopter une autre conformation que leur structure native, et qui sera cette fois associée à une pathologie grave.

La plus tristement célèbre de ces protéines à double personnalité est le prion. Dans sa forme native, le prion est une petite protéine inoffensive, exprimée dans le système nerveux, et qui se replie en trois hélices α. Mais il peut également adopter une structure alternative, comportant cette fois des feuillets β, et les protéines ainsi repliée vont alors s’agréger en plaques ou en longues fibres, dites amyloïdes, qui vont s’avérer toxiques pour la cellule. Ces agrégats sont d’autant plus dangereux qu’ils sont remarquablement stables. Ils résistent aux hautes températures, aux protéases (les protéines en charge de dégrader les molécules indésirables dans la cellule) et ne sont même pas reconnus par notre système immunitaire (puisqu’ils sont formées de protéines exprimées par notre organisme et non de corps étrangers). Les fibres sont particulièrement robustes, et leur résistance est comparable à celle de l’acier ou des fils de soie. Pire encore, les structures amyloïdes sont contagieuses, et telle une armée de zombies en marche, elles peuvent se propager à d’autres protéines qui étaient au départ correctement repliées et vont à leur tour changer de structure pour rejoindre les agrégats en cours de formation. C’est ainsi que même la sympathique myoglobine peut changer de camp et rejoindre la team β si l’on perturbe un peu son environnement naturel.

Amyloid
Plusieurs générations de petites protéines ont été terrorisées par les épouvantables fibres amyloïdes

La protéine prion a été identifiée en 1982 par Stanley Prusiner, qui cherchait alors à isoler l’agent infectieux à l’origine de la maladie de Creutzfeld-Jacob chez l’homme (et de l’Encéphalopathie Bovine Spongiforme, aka la maladie de la vache folle). Elle doit son nom à la contraction du terme Proteinaceous Infectious Particle (particule infectieuse protéique), qui résume sa caractéristique principale. Alors que les chercheur·se·s de l’époque s’attendaient à trouver un virus, une bactérie ou un parasite derrière ces maladies, c’était en fait une petite protéine de rien du tout qui tirait les ficelles grâce à son changement conformationnel !

Cette découverte a initialement rencontré pas mal de scepticisme dans la communauté scientifique, avant de valoir à son auteur un Prix Nobel de Médecine en 1997. 35 ans plus tard, on a réussi à identifier plusieurs dizaines d’autres protéines susceptibles de s’agréger en fibres amyloïdes, et qui sont à l’origine de diverses pathologies neuro-dégénératives, telles que la maladie d’Alzheimer ou la maladie de Parkinson. Néanmoins, on comprend encore mal les facteurs qui vont amener une protéine à passer du côté obscur et initier la formation des fibres amyloïdes. Et aujourd’hui, la recherche bat toujours son plein pour trouver des remèdes à ce qui s’avère être un des grands enjeux médicaux du 21ème siècle.