Une cellule eucaryote contient de l’ordre de plusieurs dizaines de millions de protéines, et la composition de cette soupe protéique varie en permanence, afin de répondre aux besoins de la cellule. Si quelques protéines (comme le collagène, ou les cristallines de l’oeil) peuvent survivre plusieurs années, la plupart d’entre elles ont une espérance de vie limitée qui va de quelques minutes à quelques jours. Et oui, dans la cellule c’est le règne de l’obsolescence programmée, mais les composants des protéines détruites sont soigneusement récupérés et recyclés !

On s’est déjà penché sur la production des protéines par le ribosome, mais leur destruction est tout aussi importante pour le bon fonctionnement de la cellule. Afin d’éviter sa surpopulation, et aussi pour réutiliser les acides-aminés, qui serviront à la fabrication de nouvelles protéines. Dans l’organisme, le phénomène de protéolyse (la destruction des protéines) peut se produire de différentes manières :

  • Dans le système digestif, ce sont les trypsines qui ont pour fonction de découper les protéines présentes dans notre alimentation afin que notre corps récupère les acides aminées dont il a besoin.
  • Dans la cellule, les lysosomes sont des compartiments comprenant tout une armada d’enzymes qui vont s’attaquer à toutes les biomolécules qui auraient le malheur de s’y égarer. Ces énormes bennes à ordure cellulaires servent tout particulièrement à détruire les molécules qui seraient introduites par des pathogènes (virus ou bactérie) dans la cellules.
  • Et puis, pour les protéines obsolètes dont la cellule n’a plus besoin, il y a le protéasome.
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Une vue du protéasome par David Goodsell pour la molécule du mois.

Cette arme de destruction protéique massive est constitué d’une quarantaine de chaînes et forme une cavité allongée à l’intérieure de laquelle les protéines vont être découpées en petits morceaux longs de quelques acides aminés. Le protéasome est un broyeur redoutablement efficace mais également très spécifique. Afin d’éviter un remake de Massacre à la tronçonneuse dans la cellule, les enzymes qui lui servent de ciseaux moléculaires sont soigneusement abritées à l’intérieur de la cavité, et seules des protéines qui ont été préalablement marquées peuvent pénétrer dans celle-ci.

Le marquage se fait via l’ubiquitine, une petite protéine de 76 acides aminés, qui, comme son nom l’indique, se retrouve partout et dans toutes les cellules. Cette protéine isolée il y a un peu plus de quarante ans sert de marqueur à tout faire dans la cellule. Elle va être fixé à une protéine cible via le phénomène d’ubiquitinylation (#PayeTonScrabble) qui implique successivement trois enzymes (nommées avec beaucoup d’originalité E1, E2, et E3, eh oui, l’inspiration fait parfois défaut aux chercheur·se·s). Si E1 et E2 existent sous une dizaine de formes distinctes, E3, qui est une ligase, chargée de la connexion finale entre l’ubiquitine et la protéine cible, présente elle plusieurs centaines de variantes. Ceci permet à l’ensemble du processus d’être extrêmement spécifique quant aux protéines qui seront marquées. Le devenir de celles-ci à l’issue des opérations dépendra du nombre d’ubiquitines qu’elles portent et de l’endroit où celles-ci ont été fixées le long de la séquence. Une seule ubiquitine peut ainsi servir à modifier la fonction d’une protéine, ou à réguler le transport de celle-ci dans ou au dehors de la cellule. Par contre la fixation de quatre ubiquitines signe l’arrêt de mort de la protéine et son aller simple pour la broyeuse. Le système ubiquitine/protéasome sert notamment lors de l’étape de contrôle qualité des protéines qui viennent d’être synthétisées par le ribosome, et près de 30% de celles-ci finissent directement à la poubelle !

ubiquitine
Des générations de petites protéines ont été terrorisées par les histoires du Grand Méchant Protéasome dans leur enfance…

Les dysfonctionnement du processus de dégradation des protéines via l’ubiquitine peuvent être à l’origine de nombreuses pathologies, comme des cancers, ou la maladie de Parkinson, qui pourrait être associée à une enzyme E3 déficiente. Et les travaux sur cet aspect essentiel du bon fonctionnement cellulaire ont valu un prix Nobel de Chimie à ses découvreurs en 2004.