Les tubulines appartiennent à la famille des protéines du cytosquelette (avec leurs cousines l’actine et les filaments intermédiaires), qui confèrent à la cellule sa forme et ses propriétés mécaniques. Elles ont la particularité de s’assembler pour former des microtubules, c’est à dire de long filaments creux et cylindriques, le plus souvent recouverts d’une armée de protéines associées (les MAPs, dans leur acronyme en anglais) qui vont servir à réguler l’organisation et la dynamique de l’ensemble.

Car loin d’être un élément statique de la cellule, le réseau de microtubules est en constante réorganisation. À chaque instant, les microtubules vont croître par l’une de leurs extrémités, via la polymérisation de tubulines en solution dans la cellule, et décroître de l’autre côté. Cette étape de dépolymérisation va quant à elle rejeter des tubulines dans la cellule, qui sont donc alors disponibles pour aller polymériser à l’autre extrémité d’un autre microtubule, et la boucle est bouclée !

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Dans cette représentation du cytoplasme par David Goodsell, on peut observer un microtubule (le gros tube bleu vertical) dont l’extrémité est en cours de dépolymérisation.

Ce cycle de polymérisation/dépolymérisation, que l’on appelle aussi l’instabilité dynamique, est un aspect essentiel de la fonction des microtubules au sein de la cellule. Ceux-ci vont notamment tenir lieu de voies de circulation, le long desquelles se déplacent les protéines motrices (avec lesquelles nous ferons plus ample connaissance la semaine prochaine) chargées d’acheminer différents éléments à travers le cytoplasme. On peut donc voir l’ensemble des microtubules comme un réseau routier capable de se réorganiser à chaque instant en créant de nouvelles jonctions pour servir les besoin de la cellule. Et si les métaphores magiques vous parlent plus, imaginez un peu le réseau mobile d’escaliers dans le château de Poudlard sur lesquels galopent en permanence quelques petits sorciers en retard pour leur cours. Et ben les microtubules c’est un peu ça…

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Et cette fois, la carte du maraudeur ne suffira pas…

Si la tubuline et les microtubules intéressent tant nombre de chercheur·se·s, et tout particulièrement en médecine, c’est qu’elle jouent un rôle crucial au moment de la mitose, le phénomène de division cellulaire où une cellule mère se transforme en deux cellules filles. Lors de cet événement, le matériel génétique de la cellule a été dupliqué et celle-ci se retrouve donc avec deux exemplaires de chacun de ses chromosomes. De leur côté les tubulines se sont assemblées pour former le fuseau mitotique, une structure reliant les pôles opposés de la cellule. Chaque copie de chromosome va alors migrer vers un côté distinct de la cellule en se déplaçant le long du fuseau mitotique qui leur tient lieu de rails. Une fois l’ensemble des chromosomes répartis de part et d’autre de la cellule, celle-ci peut alors se scinder et chacune des deux cellules filles résultantes partira faire sa vie de son côté.

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Suivi d’une division cellulaire : Le fuseau mitotique formé de microtubules apparait en vert tandis que le matériel génétique apparait en rouge.

Prévenir la formation du fuseau mitotique dans une cellule, c’est donc entraver sa prolifération et c’est justement ce que font deux composés d’origine naturelle que l’on utilise pour lutter contre le cancer :

  • La vinblastine est une toxine produite par la pervenche de Madagascar. Elle se fixe sur la tubuline et empêche la polymérisation de celle-ci pour former des microtubules.
  • Le paclitaxel quant à lui, est extrait de certaines espèces d’if (contribuant ainsi à la forte toxicité de ces arbres). Contrairement à la vinblastine, le paclitaxel va se fixer sur les microtubules déjà formés et empêcher leur dépolymérisation. Or cette étape est indispensable pour libérer des tubulines dans la cellule, qui seront ensuite disponibles pour s’associer et former le fuseau mitotique.

Chacune à sa manière (en bloquant la polymérisation ou la dépolymérisation des microtubules), ces molécules jouent donc un rôle essentiel dans les traitements des cancers par chimiothérapie, si bien qu’elles figurent toutes deux sur la liste des médicaments essentiels établie par l’Organisation Mondiale de la Santé.