Les globines sont une grande famille protéique dont les membres sont caractérisés par le super-repliement formé de huit hélices α du même nom (cf. ce billet). Ce sont des hémo-protéines, c’est à dire qu’en leur cœur, on trouve un groupement chimique de type hème, comprenant une molécule de porphyrine au centre de laquelle trône un atome de fer qui va permettre à la protéine de fixer une molécule de dioxygène. Si les globines sont si appréciées des biochimistes, c’est que, outre leurs multiples et passionnantes propriétés, elles occupent une place toute particulière dans l’histoire des protéines. Ce sont en effet deux membres éminents de cette famille, la myoglobine et l’hémoglobine, qui sont à l’origine des toutes premières structures de protéines obtenues par cristallographie aux rayons X, et que nous allons découvrir plus en détail.

Première par ordre de détermination structurale (en 1958), la myoglobine est une protéine monomérique (qui ne comprend qu’une seule chaîne) et que l’on trouve essentiellement dans les muscles. Sa fonction principale est de stocker le dioxygène (pour lequel elle présente une très forte affinité), qui va servir à produire l’énergie des cellules en cas d’effort. C’est ainsi que les muscles des grands mammifères marins (comme la baleine) sont enrichis en myoglobine (qui y est dix fois plus concentrée que chez l’homme), ce qui va leur permettre de rester longtemps en apnée. C’est donc grâce à elle que la baleine peut plonger jusqu’à 50 minutes, alors que le record humain est de l’ordre d’une dizaine de minutes (et ce sans même utiliser son oxygène pour se mouvoir sous l’eau !).

C’est aussi la myoglobine qui donne sa couleur rouge à la viande, couleur qui passe au brun en cas de cuisson car l’atome de fer voit alors son état d’oxydation changer (on passe d’un cation Fe2+ à Fe3+). Si l’on modifie la molécule (on parle souvent de ligand) associée à la protéine, on peut également modifier sa couleur, c’est ainsi le cas dans les jambons traités au nitrite, qui arborent une belle couleur rose parce que le dioxygène lié à l’atome de fer a été remplacé par du monoxyde d’azote (NO).

L’autre star de la famille, dont la structure a été déterminée en 1960, c’est l’hémoglobine. Il s’agit cette fois d’un tétramère, la protéine est formée de quatre sous-unités présentant chacune un repliement de type globine. L’hémoglobine a pour fonction de transporter le dioxygène de nos poumons vers le reste de l’organisme, permettant ainsi aux cellules de respirer, et de ramener ensuite le dioxyde de carbone produit par cette respiration vers les poumons. Cette protéine se trouve donc essentiellement dans le sang des vertébrés, et elle constitue la plus grande part des globules rouges.

Là encore, la couleur de la protéine dépendra de l’état de son groupe hème. Si celui-ci porte une molécule de dioxygène, on retrouve le rouge vif qui égaye tant de films d’horreur. En l’absence d’oxygène, la protéine devient rouge sombre, et si l’atome de fer passe de Fe2+ à Fe3+, on a alors affaire à de la methémoglobine, de couleur brun-bleutée.

Le mammouth laineux, l’ornithorynque, et le poulet.

(Ou, comment l’hémoglobine s’est adaptée à la température de fonctionnement des organismes.)

De manière générale, les protéines sont des petites choses douillettes qui détestent les variations de températures. Leur fonctionnement est optimisé pour une température donnée, et en cas de mauvais réglage du thermostat, on voit vite leur activité se dégrader. Le froid va figer les mouvements internes de la molécule (comme les rouages d’une horloge qui se gripperaient), tandis qu’une chaleur excessive verra sa structure tertiaire se carapater (jusqu’à atteindre un état dénaturé). Les organismes extrémophiles (qui vivent dans des conditions de température très basse ou très élevée) réussissent à survivre car ils ont pu développer des protéines spécifiquement adaptées à leur environnement, et nous ferons plus ample connaissance avec eux d’ici quelques billets. Mais on peut également observer de subtiles différences entre des protéines homologues issues d’organismes fonctionnant à des températures pourtant proches.

C’est ainsi que, dans le cas de l’hémoglobine, des chercheur·se·s ont comparé l’élasticité de la protéine chez l’homme, le poulet et l’ornithorynque. Pour mieux comprendre l’intérêt de cette équipe improbable, il faut savoir qu’il s’agit là de trois organismes endothermes (qui produisent leur chaleur corporelle via leur métabolisme). Chez l’homme le thermostat est réglé à 37°C, chez le poulet on monte à 42°C, alors que chez l’ornithorynque on descend à 34°C (ce qui en fait une des plus basses températures corporelles observées pour un animal à sang chaud). Les expériences et les calculs effectués sur ces trois variétés d’hémoglobines ont alors montré que plus la température corporelle d’un organisme est élevée, plus son hémoglobine est rigide, permettant de contre-balancer l’effet de la température (qui entraîne un ramollissement de la protéine) et d’avoir in fine un fonctionnement similaire.

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Parler des ses recherches tout en étant pris au sérieux, c’est pas forcément toujours évident…

D’autres chercheur·se·s se sont eux amusés à reconstituer l’hémoglobine du mammouth laineux (à défaut de reconstituer un mammouth tout entier). L’antique pachyderme, qui vivait en Sibérie il y a quelques dizaines de milliers d’années, présente quant à lui une hémoglobine dont la séquence a légèrement varié lui permettant d’être plus adaptée au froid. Ces mutations, que l’on ne retrouve pas dans l’hémoglobine des éléphants actuels, permettaient à la protéine de mieux fixer l’oxygène à basse température, facilitant ainsi la survie du mammouth en hiver.

Si Jurassic Parc n’est pas encore d’actualité, le sang des dinosaures est lui peut être à notre portée et qui sait ce que leurs protéines nous apprendront sur le sujet !