La peinture a tempera (dite aussi détrempe) a dominé l’histoire de l’art depuis l’antiquité romaine et égyptienne jusqu’au XVème siècle, où elle a progressivement été détrônée par la peinture à l’huile. Dans cette technique picturale, les pigments en poudre sont dilués dans l’eau et associés à un liant qui peut être de la caséine, une colle animale, ou le plus souvent du jaune d’oeuf. Les différentes recettes de tempera contiennent donc toutes des protéines, et leur étude par les équipes de recherche travaillant sur les oeuvres d’art anciennes a mené au développement de techniques d’analyse de pointe. L’identification des protéines présentes dans la couche picturale d’un tableau relève en effet du challenge, puisqu’elles ne représentent que 10% de la composition de la peinture, sont susceptibles de se dégrader au fil du temps, et qu’il va falloir travailler avec des échantillons microscopiques, l’oeuvre d’art analysée devant rester intacte.

Les approches dites protéomiques (où l’on va se pencher non pas sur une protéine unique, mais sur un ensemble de celles-ci) ont souvent recours à des technique de spectrométrie de masse, qui permettent de séparer des petites molécules en fonction de leur taille (et donc leur masse) et de leur charge. Après avoir été extraites de l’échantillon analysé, les protéines étudiées sont tout d’abord découpées en petits morceaux par une trypsine (une des protéines de notre système digestif qui est chargée de ventiler nos aliments façon puzzle). Le mélange d’acides aminés et de petits peptides ainsi obtenu est alors envoyé dans le spectromètre de masse et va produire une carte d’identité de l’échantillon, qui sera comparée à des mélanges de référence dont on connait la composition exacte. C’est ainsi que des équipes de recherche française (impliquant notamment le laboratoire C2RMF basé au Louvre) ont pu mettre en évidence les différentes protéines d’oeuf présentes dans des tableaux de la renaissance italienne.

Il a suffit d’un minuscule échantillon de peinture (de 10 µg !) prélevé dans la robe rouge de la Vierge, pour identifier les protéines présentes dans ce tableau du Musée du Petit Palais à Avignon (Niccolò Gerini, Vierge d’Humilité, vers 1370)

Dans une autre étude portant sur des fresques boliviennes présentes dans une église du XVIIIème siècle, les chercheur·se·s ont mis en évidence la présence de collagène (indiquant donc l’utilisation de colles animales) et de protéines d’oeuf. L’étude de la séquence primaire de ces dernières permet même de savoir qu’elles étaient issues d’oeufs de poule !

L’ovotransferrine (en magenta, pdb 1aiv), l’ovalbumine (en cyan, pdb 1ova) et le lysozyme (en violet, pdb 1dpx) sont trois protéines d’oeufs omniprésentes dans les peintures a tempera.

Bien sur ces travaux n’ont pas pour seul objectif de satisfaire la curiosité des scientifiques. Mieux connaître la composition de la couche picturale d’un tableau va permettre d’améliorer sa conservation, et de choisir des techniques de restauration adéquates si celui-ci est abimé. Et parce qu’il n’y a pas que l’art dans la vie, les techniques d’analyse protéomiques nous permettent également d’en savoir plus sur le mode de vie de nos lointains ancêtres. Ainsi, une étude sur des fragments de poteries d’Alaska vieux de plus de 3000 ans a mis en lumière le régime alimentaire à base de mammifères marins des populations Eskimo, en identifiant des protéines (myoglobine et hémoglobine) provenant de différentes espèces de phoques et de baleines. À l’autre bout de la planète, des échantillons prélevés dans des tombes chinoises datant de l’âge de bronze (il y a environ 3500 ans) ont permis d’identifier des protéines lait (comme les caséines) et les premières traces de production de produits laitiers (à base de kéfir) dans cette région du globe. Décidément les protéines sont partout, du musée à la cuisine !

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