La caséine, ou plutôt les caséines, puisqu’il s’agit en fait d’une famille protéique comprenant quatre membres distincts, représente la grande majorité (82%) des protéines trouvées dans le lait de vache. Il s’agit d’une protéine désordonnée, elle ne possède ni structure secondaire ni structure tertiaire, et on peut donc l’imaginer comme une petite boule de spaghetti entremêlés. Cette absence de structure est sans doute frustrante pour les cristallographes, qui ne pourront jamais prendre que des photos floues de notre protéine, mais elle est particulièrement appréciable à l’heure du petit déjeuner quand vous vous préparez un chocolat chaud. Contrairement aux autres protéines, qui perdent leur structure native (on dit qu’elles sont dénaturées) sous l’effet de la chaleur, comme par exemple l’ovalbumine du blanc d’oeuf qui va coaguler et s’opacifier lorsque vous cuisinez des oeufs au plat, les caséines supportent très bien d’être chauffées. Et c’est d’ailleurs cette propriété qui permet les traitements de type UHT (Ultra Haute Température, soit 2 à 5 secondes de chauffe à 150°C) pour stériliser le lait.

Et le fromage alors ?

Et bien la caséine joue effectivement un rôle central dans la préparation du fromage (elle tire d’ailleurs son nom du terme latin caseus qui signifie fromage). Alors que la protéine est soluble dans l’eau à pH neutre, elle va coaguler et former des caillots en cas d’acidification de la solution (par exemple si vous versez du vinaigre ou du jus de citron dans le lait), ou lors de l’ajout de présure, un mélange de deux enzymes (chymosine et pepsine) qui provoque la coagulation du lait initiale lors de la fabrication d’un fromage.

Mais cette protéine a connu également plein d’autres types d’utilisations non alimentaires.

  • Elle peut ainsi servir de ligand en peinture et a été exploitée comme telle dès l’antiquité romaine pour réaliser des fresques sur les murs des maisons.De nos jours on peut toujours acheter du liant à base de caséine chez les marchands de couleurs, qui servira pour la préparation d’enduits ou de badigeons. Sachant que ce liant forme une couche solide au séchage, il est par contre inadapté à des usages sur supports souples comme la toile.
  • Combinée au formol, la caséine permet de produit matériau dur, breveté en 1897 sous le nom de Galalithe (du grec gala-le lait, et lithe-la pierre). Ce polymère fut utilisé à l’échelle industrielle jusque dans les années 30 pour produire nombre de petits objets, boutons, bijoux, stylos… ou même comme substitut à l’ivoire pour fabriquer des touches de piano à bas coût. La galalithe fut ensuite progressivement détrônée par les matières plastiques modernes moins coûteuses à produire et plus faciles à mettre en forme (et qui présentent également l’avantage certain de ne pas dégager une légère odeur de fromage en cas de grandes chaleurs… néanmoins, si celle-ci ne vous dérange pas, on trouve ici le mode d’emploi pour fabriquer soi-même de la pierre de lait).
  • On peut aussi utiliser la caséine pour fabriquer une colle très efficace, notamment sur le bois et le papier (soit des matériaux cellulosiques) avec lesquels la caséine est susceptible de former un grand nombre de liaisons hydrogènes, assurant ainsi une bonne tenue du collage. L’utilisation de cet adhésif à base de lait que l’on peut aisément fabriquer chez soi est avérée dès le moyen-âge (les menuisiers parlaient alors de colle de fromage). On la retrouve ensuite à la fin du XIXème siècle en Suisse, où elle est utilisée pour produire des charpentes en bois lamellé-collé. Puis au début du XXème siècle, où elle sert à l’assemblage des pièces en bois des premiers aéroplanes, notamment dans l’armée allemande durant la première guerre mondiale. Son usage tombera ensuite en désuétude dans les années 20-30 avec l’apparition de nouveaux adhésifs moins coûteux. Cette fois l’histoire ne nous dit rien d’un éventuel problème d’odeur fromagère, mais une des faiblesses de la colle à la caséine étant le développement de moisissures lorsque celle-ci est placée en milieu humide, on peut facilement imaginer que ça ne sentait pas trop la rose….
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Bien que son usage par l’aviation allemande fut très répandu pendant la première guerre mondiale, la colle à caséine ne faisait pas toujours l’unanimité auprès des officiers.