Nous sommes tous des mutants !
Des changements peuvent se produire régulièrement dans la séquence des protéines fabriquées par notre organisme et ce pour diverses raisons :
- Lors d’une erreur de réplication de l’ADN au moment de la multiplication cellulaire (c’est-à-dire que votre corps s’est gouré en recopiant son mode d’emploi). Les cellules étant dotées d’un système de contrôle qualité (relecture et réparation des erreurs repérées le cas échéant) remarquablement performant, de telles modifications du code génétique sont très rares, de l’ordre d’une pour 10 milliards (1010) de paires de bases. Sauf que le génome humain contient lui-même environ 3 milliards de paires de base, ce qui nous fait donc près d’une chance sur trois qu’une erreur se soit glissée dans le code génétique d’une cellule lors de sa division. Et des cellules, notre corps en contient un sacré paquet, autour de cent mille milliards (1014), donc au final ça nous fait un grosse quantité d’erreurs en circulation.
- Lors d’une erreur de traduction, cette fois c’est la machinerie en charge de fabriquer des protéines à partir du code génétique qui a égaré ses lunettes. Là encore, il existe un contrôle qualité au taquet, mais des erreurs peuvent malgré tout persister en cours de processus.
- Et puis parfois notre organisme fait parfaitement son boulot, mais c’est l’exposition de notre précieux patrimoine génétique à des radiations ou des produits chimiques mutagènes qui vient mettre le bazar dans ses nucléotides et par conséquent dans la séquence des protéines fabriquées à partir de celui-ci.
Donc au final, nous sommes tous porteurs de protéines mutées, mais dans l’immense majorité des cas, ces mutations n’ont absolument aucun impact sur la structure et la fonction de nos protéines, qui vont poursuivre leur activité comme si de rien n’était.
Parfois les mutations ponctuelles dans le code génétiques peuvent avoir des conséquences insolites. C’est ainsi qu’on peut rencontrer des chats polydactyles (dotés de doigts surnuméraires), notamment dans la race Maine-coon, ou encore des hommes bleus dans le Kentucky, car porteurs d’une forme défectueuse d’hémoglobine (la methémoglobine vue dans le billet sur les globines) qui transporte moins bien l’oxygène et donne à leur peau une coloration azur du plus bel effet.

C’est également à des protéines mutées que l’on doit l’hypertrichose des oreilles (dite aussi pourquoi grand-papy avait les oreilles poilues mais pas sa fille ?), ou encore le terrible syndrome des cheveux incoiffables qui a du faire le désespoir de quelques parents (notons que dans ce cas particulier, la triade de protéines responsables a récemment été identifiée par une équipe de recherche allemande).
Bref, il ne suffit hélas pas d’être un mutant pour qu’une glorieuse carrière de super-héros s’ouvre à vous !

Malheureusement il existe aussi des mutations qui seront à l’origine de graves dysfonctionnements protéiques, et donc de pathologies. C’est par exemple le cas de la drépanocytose, dite aussi anémie à cellules falciformes. Cette maladie héréditaire est caractérisée par une forme altérée de l’hémoglobine β (cf. le billet sur les globines), appelée HbS, qui va entraîner une déformation (en faucille donc) des globules rouges. Ceux-ci s’en trouvent fragilisés, ce qui peut alors entraîner (entre autres joyeusetés) de l’anémie chez les malades. Pourtant à l’origine de ces problèmes, il y a une toute petite mutation de rien du tout, le remplacement dans la séquence protéique du glutamate numéro 6 par une valine !
En apparence, la protéine native et son mutant ont donc quasiment la même structure. Mais voilà, ce petit glutamate 6 est placé à la surface de la protéine, et ce résidu chargé (et donc polaire et hydrophile) contribue à la solubilité de l’hémoglobine dans l’eau. Lorsqu’il est remplacé par une valine (apolaire et hydrophobe), nos molécules vont alors avoir tendance à s’agréger et à former les globules en faucille caractéristiques de la maladie.

Suivant l’adage comme quoi à quelque chose malheur est bon, on a néanmoins remarqué que cette mutation de l’hémoglobine était sur-représentée dans les populations exposées au paludisme. La drépanocytose procure en effet une résistance au paludisme à ses porteurs. La présence d’HbS induit l’expression d’une autre protéine, l’heme oxygénase-1, qui va jouer un rôle protecteur contre la maladie transmise par le parasite Plasmodium.
Notons que dans certains cas, les mutations aléatoires peuvent également être bénéfiques pour l’organisme qui les porte, car elles aboutissent à une amélioration de la fonction protéique. C’est ce qui motive certains chercheur·se·s, qui vont alors faire de l’ingénierie protéique, c’est à dire générer des mutants expressément conçus pour présenter des propriétés particulières, et dont nous parlerons dans les prochains billets.