En 1935, l’École Vétérinaire de Maison Alfort recueillait un lapin incapable de sauter, mais qui présentait l’étrange faculté de se déplacer sur ses pattes avant. Afin d’en savoir plus sur les mutations génétiques à l’origine de cette particularité, les chercheurs entreprirent d’élever cette variété assez ironiquement baptisée Sauteur d’Alfort.

Certes le Sauteur d’Alfort ne saute pas. Mais il faut reconnaître qu’il fait des pieds et des mains pour se faire remarquer.

Après la guerre le Sauteur d’Alfort sombra dans l’oubli, pour être finalement redécouvert dans les années 1990, et cette espèce est désormais un objet d’étude pour les scientifiques qui tentent de comprendre le phénomène de locomotion chez les vertébrés. 85 ans après leur découverte, il semble que le mystère de ces lapins acrobates ait enfin été résolu par des équipes de recherche distribuées entre la Suède et le Portugal.

Les scientifiques ont passé en revu le patrimoine génétique d’une cinquantaine de lapins issus de la même lignée (dont un dizaine se déplaçait sur les pattes avant), et à l’origine de cette démarche si particulière, il·elle·s ont pu identifier un gène, et donc bien sur une protéine.

RORB (pour RAR-related orphan receptor β) est un facteur de transcription présent dans le noyau. Sa mission est de jouer les intermédiaires entre les hormones et l’ADN, et ainsi de controller l’expression de certains gènes en fonction des messages chimiques reçus par la cellule. Jusque là le rôle physiologique de cette protéine était mal connu, mais ces travaux montrent qu’elle est active dans les neurones et la moelle épinière, et qu’elle est indispensable à la coordination des membres nécessaire aux sauts observés chez les lapins ordinaires. Les Sauteurs d’Alfort quant à eux sont soit privés de cette protéine, soit porteur d’un mutant non fonctionnel. L’impact de la perte de RORB sur la locomotion avait d’ailleurs déjà été observée par le passé chez des souris, les spécimens dépourvus de cette protéine adoptant une démarche dite en dandinement de canard. Au final, il semble que chez ces deux espèces, RORB joue un rôle clé dans la synchronisation de la contraction des muscles entre membres postérieurs et antérieurs lors de la locomotion.

Sans RORB vous pouvez donc dire adieu à la distribution d’oeufs et de chocolats par le lapin de Pâques !