En 1994, trente ans après les premières résolutions de structures de protéines par cristallographie, alors que les recherches sur le repliement protéique battent leur plein (avec notamment la création de la compétition CASP), George Rose et Trevor Creamer, deux biochimistes de l’Université de St Louis, Missouri, publient un bref article qui contient une prédiction et un défi :

  • Face à l’explosion de la quantité de données expérimentales disponibles et à l’essor des approches théoriques, notre duo annonce que le problème du repliement protéique sera résolu d’ici la fin de la décennie.
  • Rose et Trevor constatent cependant que le processus de repliement d’une protéine est à la fois remarquablement sensible (une mutation bien placée peut parfois suffire à complètement perturber la structure d’une protéine) et étonnamment robuste (des protéines présentant une faible homologie de séquence, inférieure à 30%, peuvent néanmoins adopter des structures similaires, c’est par exemple le cas des globines). C’est pourquoi il mettent au défi leurs collègues de complètement réorganiser le repliement d’une protéine globulaire (c’est à dire non désordonnée) en modifiant au plus 50% de sa séquence. En récompense, un prix de 1000$ sera attribué à la première équipe de recherche capable de relever ce défi, qui porte le nom de Paracelsus Challenge, en hommage au médecin et alchimiste suisse du 16ème siècle,

En ce qui concerne leur prédiction, il faudra en fait attendre novembre 2020, et les résultats spectaculaires du logiciel AlphaFold2 à la compétition CASP pour annoncer la résolution du problème du repliement protéique (nonobstant quelques limitations), soit 20 ans de plus que ce qui était initialement annoncé.

Mais de manière surprenante, le défi de Paracelse connaîtra une existence bien plus brève. Trois ans à peine après sa création, deux laboratoires avaient déjà réussi à produire des protéines satisfaisant les conditions du défi. À l’université de Yale, l’équipe de Lynne Regan conçoit la protéine Janus (du nom du dieu au deux visages), qui présente un repliement en hélices α, alors que sa séquence coincide à 50% avec celle d’une protéine G, qui possède elle un repliement mixte α+β (similaire à celui de la chémokine XCL1). De l’autre côté de l’Atlantique, le laboratoire de Janet Thornton au University College de Londres concevait la Paracelsin-43, une petite protéine elle aussi toute en hélices α, mais dont la séquence coïncide à 53% avec une protéine ne comportant que des feuillets β.

La séquence de la protéine Janus est homologue à 50% à celle d’une protéine G (en vert, pdb 2gb1). Elle adopte pourtant un repliement en hélices α comme la protéine Rop (en violet, pdb 1rpr) avec laquelle elle ne partage que 41% d’identité de séquence.

Et c’est ainsi que dans un article de 1997, George Rose épilogue sur le défi lancé trois ans auparavant avec son collègue, et qu’ils considéraient alors comme impossible à relever. Il revient plus particulièrement le prix qui avait été offert en récompense. À l’époque, ces 1000$ étaient la plus petite somme susceptible de susciter l’intérêt de la communauté scientifique, tout en étant le maximum qu’ils pouvaient réunir auprès de différents sponsors. Rétrospectivement, et devant la facilité avec laquelle de défi a été relevé, le voilà qui conclut :

On aurait mieux fait d’offrir un t-shirt.