Depuis la publication du mythique Temple du Soleil, cela fait maintenant plus de 70 ans que les lamas ont mauvaise presse auprès des amateurs de bande-dessinée franco-belge. Pourtant ces camélidés pourraient s’avérer des alliés de choix dans notre lutte contre le SARs-CoV-2.

On a déjà parlé sur ce blog des anticorps, ces grosses protéines en charge de repérer les intrus dans notre organisme. Ils sont formés le plus souvent d’un assemblage de quatre chaînes protéiques, deux chaînes lourdes (d’environ 450 acides aminés chaque) et deux chaînes légères ( à 200 acides aminés pièce), toutes constituées de quatre ou deux domaines d’environ une centaine d’acides aminés de long. Chaînes lourdes et chaînes légères possèdent chacune un domaine dit variable, car il va servir à reconnaître de manière spécifique un antigène précis, initiant ainsi l’élimination des visiteurs indésirables. Le terme Fab (pour fragment antigen binding, fragment de liaison à l’antigène) désigne donc un morceau de l’anticorps comportant ces domaines variables. Les Fab servent couramment comme outils de reconnaissance et de diagnostique d’un antigène, pour un usage thérapeutique ou pour l’imagerie médicale (s’ils sont associés à une protéine fluorescente). Le soucis c’est qu’il s’agit encore de gros objets protéiques (400 acides aminés au total) dont la stabilité au cours du temps laisse parfois à désirer (car il s’agit d’un assemblage de deux chaînes).

Or il se trouve que du côté des camélidés (et aussi, allez savoir pourquoi, chez les requins), l’évolution a décidé de jouer la carte de la simplicité. En lieu et place de nos gros anticorps, ces animaux possèdent une version réduite, qui ne comporte plus que deux chaînes lourdes. Et le domaine variable est entièrement localisée sur un unique fragment d’environ 150 acides aminés. Ces anticorps à domaines uniques, dits aussi nanocorps (ou nanobodies en anglais) ont été découverts il y a près d’une trentaine d’années et font l’objet de nombreuses recherches. En effet, leur taille réduite permet d’envisager des modes d’administration alternatifs aux perfusions, par spray nasal ou inhalateur.

Comparaison d’un anticorps classique (à gauche) et d’un anticorps de camélidé (à droite).
Les chaînes lourdes sont représentées en bleu et les chaînes légères en vert.
La zone de reconnaissance de l’antigène est entourée en magenta (illustration de David Goodsell pour la molécule du mois)

C’est ainsi que depuis 2020, des équipes de recherche développent des nanocorps susceptibles de se fixer spécifiquement à la protéine spike du SARS-CoV-2. Contre cette cible particulière, la petite taille des nanocorps comparés aux Fab classiques est également un atout. En effet, spike est recouverte de molécules de sucre qui vont lui permettre de passer inaperçue face à notre système immunitaire. Heureusement pour nous, le tissu de cette cape d’invisibilité moléculaire est un peu mité, et les nanocorps vont pouvoir s’y infiltrer avec plus de facilité que nos gros anticorps humains.

Représentation de la protéine Spike (en cyan) ancrée dans la membrane du virus (en violet) et recouvert de sucres (en magenta).
En solution, l’agitation des molécules de sucre forme un bouclier protecteur tout autour de la protéines
(structure issue de Casalino et al. ACS Cent. Sci. 2020)

En pratique, les chercheur·se·s d’une équipe belge ont immunisé une lama (parce que travailler sur des requins c’était plus compliqué) en lui injectant des protéines spikes issues de deux autres coronavirus (SARS-CoV-1, et MERS-CoV) mais néanmoins très proches de celle du SARS-CoV-2. En réaction son organisme a produit des nanocorps se qui se fixent également aux protéines spike de SARS-CoV-2 et dont l’effet protecteur par inhalation a déjà été montré chez les hamsters. Il reste maintenant à transformer l’essai chez l’humain. En Allemagne, une équipe a procédé de manière similaire sur des alpacas, et aux USA, des groupes de recherche ont utilisé la technologie CRISPR-CAS9 pour produire des souris OGM (les nanosouris) capable de fabriquer des nanocorps issus du lama, du dromadaire et du chameau (mais toujours pas de requin à l’horizon hélas).

Au final, après plus d’un demi-siècle de mauvaise réputation, il semble donc que la rédemption des lamas soit pour bientôt. Adieu les crachats, bye bye corona, les lamas sont sympas !

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