Les enzymes gloutons sont un concept publicitaire lancé en France à la fin des années 60 afin de vendre une lessive, qui comprenaient des enzymes censées dévorer les tâches. La campagne publicitaire fut un succès, au point d’être immortalisée dans une case de Gaston Lagaffe, mais la lessive fut un échec commercial (la légende dit que les ménagères craignaient de voir leur linge dévoré en même temps que les tâches par lesdits enzymes).
De nos jours les enzymes se sont faites plus discrètes, mais elles restent bien présentes dans les lessives industrielles, où elles vont contribuer à la dégradation des tâches d’origine organique. On trouvera ainsi des protéases (en charge des tâches de sang, jus de viande et autres), des lipases pour le gras ou des amylases qui s’attaqueront aux sucres. Ces enzymes ont l’avantage de fonctionner à basse température (ce qui est même préférable pour elles), par contre elles sont aussi susceptibles de s’attaquer à des fibres textiles d’origine protéique, comme la laine ou la soie, qui nécessiteront donc un détergent spécifique.
Mais la capacité des certaines enzymes à dégrader des molécules organiques offre des perspectives bien plus larges que le simple nettoyage du linge. Très récemment, un consortium de chercheur·se·s françai·se·s s’est penché sur la cutinase, une enzyme responsable de la dégradation de l’enveloppe externe des plantes et produite par des bactéries présentes dans les composts de feuilles. La LCC (pour Leaf Compost Cutinase) possède en effet l’étonnante faculté de pouvoir également dégrader des matières plastiques comme le PET (Polyethylene terephtalate). Ce polymère utilisé pour la fabrication de bouteilles, emballages et de fibres textiles (polaires) représente près de 20% de la production mondiale de matières plastiques avec une production annuelle d’environ 60 millions de tonnes. Cette matière plastique est difficilement dégradable (le processus prendra plus d’un millier d’années dans la nature) et son taux de recyclage reste encore très faible (de l’ordre de 10%) car le PET recyclé présente des qualités mécaniques inférieures à celles du matériau neuf.
Revenons à notre enzyme. La LCC native, qui a été isolée en 2012, est capable de dégrader jusqu’à 30% d’une bouteille de PET en trois jours, et est aussi thermostable (elle fonctionne à 65°C) ce qui est appréciable pour une enzyme que l’on souhaiterait exploiter dans le cadre d’un procédé industriel. Les équipes françaises qui se sont penchées sur son berceau ont mis en place une stratégie d’ingénierie protéique qui couple des approches théoriques et expérimentales :
- Pour commencer, le site catalytique de l’enzyme (où se déroulent les réactions chimiques de dégradation du PET) a été scruté de près via des techniques de modélisation moléculaire. Ces calculs ont permis d’identifier quels acides aminés jouaient un rôle clé dans l’activité catalytique de la protéine.
- Après quoi les chercheur·se·s ont effectué des mutations dirigée sur ces résidus. Sur les 200 variants produits à partir de la protéine d’origine, la plupart présentaient un activité dégradée. Mais dans quelques cas cette activité catalytique était supérieure à celle de l’enzyme native.
- Les mutations ont également été faites pour améliorer la thermostabilité de l’enzyme, via l’introduction de cystéines. Ces acides aminés vont en effet permettre la formation de ponts disulfures qui renforcent la structure protéique, qui peut ainsi rester stable jusqu’à 94°C.

Après plusieurs essais, cette stratégie a finalement abouti à la production d’un variant optimisé de la LCC capable de dégrader des déchets en PET à 90% en une dizaine d’heures. Qui plus est, le PET recyclé fabriqué à partir des produits de la dégradation par la LCC mutante possède des qualité similaires au matériau neuf. Ces résultats ouvrent de nouvelles perspectives concernant le recyclage de ce polymère et le procédé devrait être testé à l’échelle industrielle dès 2021.
Au final il semble donc que les enzymes nous vont vraiment nous aider à rendre ce monde plus propre !