Plusieurs espèces de grenouilles tropicales (qu’elle viennent d’Amérique du sud, d’Afrique ou d’Asie du sud-est), possèdent l’étonnante capacité de fabriquer des nids en mousse pour abriter leur ponte. Au moment de l’accouplement, la femelle va produire un fluide et le mâle va monter en neige celui-ci en se servant de ses pattes arrières comme batteurs.

Pour la St Valentin, M. Grenouille a pour habitude de proposer une petite mousse à Mme Grenouille, mais ça n’est pas ce que vous imaginiez…

Malgré son apparente fragilité, cette meringue un peu spéciale s’avère être un abri de choix pour les oeufs. La mousse est d’une grande stabilité mécanique, avec une résistance aux déchirures accrue, tout en gardant une certaine souplesse. Elle reste en place plusieurs jours, le temps que les oeufs éclosent, et garde ceux-ci au bien chaud (ce qui favorise leur incubation). Les nids de mousse résistent à la déshydratation, protègent les oeufs des prédateurs et possèdent également des propriétés antimicrobiennes.

Si l’on se penche sur la composition du liquide produit par Mme Grenouille et à l’origine de cette mousse miraculeuse, on trouve de l’eau et un cocktail de protéines (surprise !), que l’on a baptisée ranaspumines (en reprenant les racines latines pour la grenouille, rana, et la mousse, spuma). Dans cette famille protéique, la ranaspumin-2 possède notamment des propriétés surfactantes, i. e. qui vont permettre la formation de la mousse lors du battage, remarquablement efficaces. La concentration en ranaspumine dans le fluide moussant des grenouilles est de l’ordre de 10 à 100 μg par litre, alors qu’il faut des concentrations 10 à 100 fois plus importantes en albumine et en lysozyme, qui sont les principales protéines trouvées dans le blanc d’oeuf, pour monter des blancs en neige.

Alors que la plupart des protéines ont évolué pour fonctionner en milieu aqueux, ou en étant insérées dans une membrane lipidique, la ranaspumin-2 semble s’être adaptée à l’interface eau/air. En solution elle présente, comme ses petites camarades, un coeur hydrophobe et une surface hydrophile (en contact avec l’eau). Mais lors de la formation de la mousse, la protéine va s’ouvrir, un peu à la façon d’un coquillage, et l’extérieur hydrophile restera en contact avec l’eau tandis que son intérieur hydrophobe sera mis en contact avec l’air.

transformer
Aussi à l’aise dans l’eau qu’à l’interface eau/air, la ranaspumin-2 est un véritable petit Transformer protéique.

Combiné aux propriétés anti-microbiennes de la mousse, ce détergent naturel, qui doit être non toxique pour les oeufs qui se développent dans le nid, est particulièrement intéressant pour la recherche médicale et pourrait par exemple être exploité pour le traitement de plaies.

Une seconde protéine, que l’on trouve dans les nids des grenouilles arboricoles P. leucolystax en Malaisie est à l’origine d’une coloration bleue/verte de la mousse. Lorsque que les chercheur·se·s se sont penché·e·s d’un peu plus près sur cette protéine, ils ont obtenu de magnifiques cristaux d’un bleu intense, et ont mis en évidence une structure quaternaire formée de deux domaines protéiques associés via un atome de zinc. Sur le plan chimique, cette structure rappelle celle de l’indophénol, un colorant bleu utilisé notamment dans l’industrie textile et les teintures capillaires.

C’est donc tout naturellement que cette protéine s’est vue baptiser du doux nom de ranasmurfin (rana c’est toujours pour la grenouille, et smurf c’est le nom anglais des célèbres petits personnages bleus de Peyo !). En ce qui concerne les grenouilles, on ne sait pas encore exactement quelle fonction remplit la couleur bleue de la ranasmurfin. La coloration pourrait tenir lieu de protection contre les UV, ou servir à mieux camoufler le nid au milieu de la végétation.

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Peu après l’apparition de la ranasmurfin dans leur phénotype, les grenouilles arboricoles de Malaisie ont également développé une excellente mémoire…