Rubisco

Il suffit de jeter un coup d’oeil aux formules chimiques des différents acides aminés pour s’apercevoir que le carbone joue une rôle central dans toutes les molécules de la vie. Malheureusement dans la nature cet élément n’est pas aussi facile d’accès que l’azote ou l’oxygène (qui composent respectivement près de 80% et 20% de l’atmosphère terrestre). Le carbone se trouve le plus souvent dans un état oxydé, soit en phase solide sous forme de minéraux de carbonates (des anions CO32- associés à des cations comme le calcium Cu2+ ou le magnésium Mg2+), soit en phase gazeuse sous forme de dioxyde de carbone CO2. Chez les végétaux, la récupération du carbone atmosphérique se fait via l’enzyme ribulose-1,5-bisphosphate carboxylase/oxygénase (à vos souhaits), dite aussi Rubisco, qui va catalyser la fixation d’un atome de carbone à une autre molécule (le ribulose biphosphate qui donne à Rubisco son nom à rallonge). Le produit de cette réaction chimique (qui va également entraîner un dégagement d’oxygène) servira ensuite à fabriquer des molécules de sucre qui permettent ainsi à la plante de stocker de l’énergie.

Ce rôle clé dans la photosynthèse fait de Rubisco la protéine la plus abondante sur terre, et elle peut former de 30 à 50% des protéines solubles (c’est à dire non intégrées dans la membrane cellulaire) des feuilles des plantes. Si les végétaux ont besoins d’une si grande quantité de cette protéine, c’est qu’elle est étonnamment lente. Alors que les enzyme sont d’ordinaire des merveilles de technologie perfectionnée par des millions d’année, d’une efficacité à faire pleurer le plus génial des inventeurs, en ce qui concerne Rubisco, Mère Nature a décidé de privilégier la quantité sur la qualité. Tandis que ses petites camarades sont capable de catalyser un réaction chimique plusieurs milliers de fois par seconde, dans le même temps, Rubisco ne réagira qu’avec trois à dix pauvres molécules de CO2 !

Pour aggraver son cas, Rubisco est également très peu sélective, puisqu’elle peut aussi réagir avec du dioxygène, ce qui aboutira à la formation de molécules défectueuses (car trop riches en oxygène) et que la cellule devra corriger (moyennant une dépense d’énergie dont elle se serait bien passée). Enfin, notre enzyme ne travaille que le jour, lorsque la cellule qui l’héberge produit du ribulose biphosphate, et se repose chaque nuit.

Vues ses caractéristiques un peu faiblardes, les chercheur·se·s ont tout naturellement tenté d’améliorer les performance de Rubisco via la création de mutants, mais malheureusement sans beaucoup de succès jusque là. En effet, la fonction oxygénase (qui permet la fixation de dioxygène à la place du CO2) a également un rôle à jouer dans la cellule, et il n’est peut être pas avisé de la supprimer afin d’augmenter la productivité de Rubisco. Cette protéine présente aussi la particularité de contenir tous les acides aminés essentiels, cette source d’acide aminés variés a ainsi suscité l’intérêt d’entreprises d’agrotechnologie, qui souhaiteraient l’extraire des plantes pour en faire des steaks végétaux.

1rcx
Une structure du Rubisco des feuilles d’épinards (code pdb 1rcx)

Côté physique, l’enzyme se présente sous la forme d’un gros complexe comprenant 16 chaînes protéiques : 8 grandes unités comprenant le site actif (où se produit la réaction de fixation du carbone), et 8 petites qui joueraient un rôle pour maintenir l’ensemble. Chacune des grands unités pourrait fonctionner individuellement, mais on pense que l’assemblage de celle-ci dans le complexe permet d’économiser de la place au sein de la cellule et donc de caser le plus de protéines possible dans celle-ci.

Donc en résumé, Rubisco est une grosse bouboule très lente, très pataude et un peu flemmarde aussi. Finalement elle est plutôt sympathique cette protéine, pas si sur qu’on ait envie de la voir finir dans nos assiettes…

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