La lactase est une enzyme qui a pour fonction de dégrader le lactose, un sucre présent dans le lait. Elle est principalement exprimée au niveau de l’intestin grêle chez les jeunes mammifères (ainsi que par certaines bactéries), ce qui leur permet de digérer de manière efficace le lait maternel. Après le sevrage et la diversification alimentaire, la quantité de lactase produite par l’organisme diminue. Le lait consommé sera alors digéré de manière incomplète dans l’intestin grêle, et ce sont les bactéries présentes dans le colon qui vont finir le travail. Malheureusement, leur activité peut s’accompagner de phénomènes désagréables tels que des diahrrées, gaz et gonflements, l’ensemble de ces symptômes caractérisant ce que l’on désigne d’ordinaire comme l’intolérance au lactose. Finalement ça n’est pas tant le lait qui vous rend malade que la façon dont le microbiote de votre colon se charge de le digérer (et il ne s’agit donc pas d’une allergie aux protéines de lait, qui pourrait s’avérer bien plus grave). La consommation de produits laitiers transformés (tels que fromages, yaourts et autres produits fermentés) est une façon d’éviter les désagréments dus à l’intolérance au lactose. En effet dans ce cas les bactéries présentes dans votre fromage préféré se sont occupées de dégrader le lactose à votre place.

Mais une part non négligeable de la population humain possède la capacité de continuer à produire de la lactase même à l’âge adulte, ce qui lui permet de boire du lait sans désagréments. Ce super pouvoir, nommé Persistance de la Lactase (LP pour les anglophones) concerne environ un tiers de la population humaine, mais il est réparti de manière très hétérogène sur la planète. Alors que près de 90% des populations scandinaves peuvent se gaver impunément de lait, ce taux tombe sous les 15% en Asie du sud-est. Cette production continue de lactase à l’âge adulte est le résultat de mutations génétiques, non pas dans le code de l’enzyme même, mais dans celui d’une protéine qui est impliquée dans la production de la lactase.

Structure tridimensionnelle de la lactase d’E. coli (en cyan, code pdb 1jyn) associée à une molécule de lactose (en magenta)

Historiquement, l’apparition de populations humaines LP date du néolithique (entre -6000 et -2000 ans av. J.-C.) et se serait développée en même temps que les pratiques d’élevage et la consommation de lait dans ces mêmes populations. Mais il s’agit d’un processus complexe et encore mal compris. Les restes humains les plus anciens dont l’analyse génétique montre une persistence de la lactase datent environ de -5000 ans av. J.-C. Mais une étude récente a montré que cette caractéristique n’a commencé à se répandre dans les populations européennes que bien plus tard (vers -2000 ans), alors que ces populations consommait régulièrement du lait depuis déjà plusieurs millénaires. Les auteur·rice·s de cette étude font l’hypothèse qu’en temps normal (si les ressources alimentaires sont suffisantes), les désagréments associés à l’intolérance au lactose sont suffisamment faibles pour ne pas représenter un désavantage évolutif par rapport aux individus tolérants. D’ailleurs aujourd’hui une grande partie de la population mondiale consomme régulièrement de faibles quantité de lait sans gros problèmes alors même qu’elle ne produit pas ou peu de lactase. La donne change par contre complètement lors des épisodes de famines ou d’épidémies. Si la part du lait dans l’alimentation doit augmenter (du fait d’une pénurie de viande ou de récoltes insuffisantes), et que la population est fragilisées par des maladies, alors les individus capables de consommer du lait sans problème (et notamment sans diahrrées) présenteront de meilleures chances de survie. Ce serait donc ces épisodes de crise qui auraient favorisé la propagation de la persistance de la lactase dans les populations européennes.

Finalement les produits laitiers ne sont pas forcément nos meilleurs amis au quotidien, mais il peut être utile de savoir les apprécier en cas de coup dur !