Toutes les cellules de notre organisme disposent du même patrimoine génétique, que l’on peut voir comme un grand catalogue contenant les notices de fabrication de toutes les protéines nécessaires à notre fonctionnement. Mais chaque cellule ne fait pas forcément le même usage de ce catalogue, ce qui explique les différences observées entre des cellules appartenant à des organes distincts. En effet, celles-ci n’ont pas besoin de produire le même assortiment de protéines, et un même gène peut donc être actif dans une cellule (la protéine qu’il encode est alors exprimée) et inactif dans une autre. L’environnement ou le comportement (alimentation, mode de vie, stress…) d’un organisme peut également modifier l’activité de ses gènes, et l’étude des ces changements d’activité est appelée épigénétique. C’est par exemple l’épigénétique qui fait qu’une larve d’abeille grandira pour devenir une modeste ouvrière ou une reine gigantesque, selon qu’elle a été nourrie de miel et de pollen, ou de gelée royale.

Contrairement aux mutations qui sont des changements permanents dans la séquence d’ADN, les modifications épigénétiques sont réversibles, un gène peut-être successivement activé puis désactivé selon les besoin de la cellule. Finalement on peut voir celles-ci comme un jeu de post-it qui viendraient customiser le grand mode d’emploi collectif que représente notre génome, en rajoutant des petites notes ça et là sur comment utiliser chaque gène en fonction des circonstances.

Ça c’est le jour où Valérie Damidot a décidé de prendre en charge les modifications épigénétiques.

Il arrive parfois que ces annotations ne soient pas mises à jour, et une modification épigénétique peut persister alors même que la perturbation qui l’a induite n’existe plus. Par ailleurs, les modifications épigénétiques présentes dans une cellule peuvent être transmises à ses cellules filles lorsque celle-ci se multiplie. On se retrouve donc face à une situation où les caractères acquis par un individu peuvent-être transmis à sa descendance. Chez le vers C. elegans (un organisme modèle très apprécié des scientifiques), on a ainsi observé la transmission sur plus d’une dizaine de générations d’une modification de l’expression d’un gène induite par l’exposition à de hautes températures, alors que les descendants n’avaient connu eux que les basses températures. D’autres travaux sur les drosophiles ont abouti à la production de lignées porteuses chacune d’une couleur d’yeux différente (blanc, orange ou rouge), alors que toutes les mouches possédaient le même patrimoine génétique.

Au niveau moléculaire, ces post-it du vivant prennent la forme d’un marquage chimique soit de l’ADN, soit des histones (ces protéines autour desquelles l’ADN va s’enrouler pour être bien rangé dans le noyau cellulaire). On peut par exemple ainsi observer une méthylation de l’ADN, c’est à dire la fixation d’une groupe -CH3 sur une base cytosine. L’ensemble de ces marqueurs peuvent soit gêner l’accès à un gène (et donc l’inactiver), soit le faciliter (en rendant la chromatine moins compacte à un endroit donné). Et bien entendu, ce sont des protéines qui sont en charge de ce marquage, comme par exemple les DNA methyltransférases, qui ont justement pour mission la méthylation de l’ADN.

Deux exemples de DNA-méthyltransférases : Dnmt3 (à gauche, code pdb 2qrv) se charge de fixer des groupements méthyles sur l’ADN. Dnmt1 (à droite, associée à de l’ADN en jaune, code pdb 3pt6) est quant à elle responsable de méthyler les copies de l’ADN d’origine lors de la réplication.

Depuis leur découverte au milieu du XXème siècle, nos progrès dans la compréhension des mécanismes épigénétiques ouvrent de nouvelles perspectives médicales. En effet les modifications épigénétiques sont impliquées dans certaines pathologies humaines, notamment les cancers et les maladies neurodégénératives (Parkinson ou Alzheimer). Le ciblage des protéines impliquées dans les modifications épigénétique (ou la suppression de celles-ci) apparaît donc comme une piste prometteuse dans la lutte contre ces maladies.

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