Quand on s’intéresse aux protéines, on fait de la biochimie, c’est à dire de la chimie, mais centrée sur les molécules du vivant (soit donc les protéines, mais aussi les acides nucléiques, les lipides, ou encore les sucres). On fait généralement remonter l’acte de naissance de la chimie dite moderne aux travaux de Lavoisier (dans les années 1770-1780), qui ont permis de mettre en évidence que la matière était composée d’éléments simples (tels que l’oxygène ou l’hydrogène) susceptibles de se combiner entre eux (pour former de l’eau par exemple), menant ainsi au célèbre Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Les techniques d’analyse élémentaire des composés mises au point à cette époque vont permettre aux chimistes de s’en donner à cœur joie pendant tout le 19ème siècle en dépiautant tout ce qui leur passe à portée de main.

Vers 1838, un chimiste néerlandais du nom de Gerrit Mulder (sans Scully) ayant travaillé sur le blanc d’œuf, utilise pour la première fois le terme protéine (du grec protos, premier). Celui-ci désigne un groupe de substances omniprésentes dans le vivant, que l’on trouve à la fois chez les animaux et les plantes, et qui sont composées essentiellement de carbone, d’azote, d’oxygène et d’hydrogène, avec parfois également un peu de soufre ou de phosphore. Durant les décennies qui vont suivre on n’en saura pas tellement plus au niveau atomique sur les protéines sinon que :

  • Il s’agit de grosses molécules.
  • Elles n’ont pas toutes la même composition (la formule chimique de chacun des différents acides aminés sera quant à elle progressivement établie entre 1820 et 1920).
  •  Les protéines sont des composés sensibles à la température.

Au cours du 19ème siècle la science des protéines sera surtout une science des enzymes, ces substances actives qui rendent possible (ou accélèrent, on parle alors de catalyseurs) une réaction chimique. Comme la digestion de la viande par les sucs gastriques, ou la fermentation qui va convertir les sucres en alcool. Les chimistes vont identifier tout un tas d’enzymes, chacune associée à une réaction chimique bien spécifique, et se pencher sur leur fonctionnement.

Au départ, le rôle des réactions chimiques dans le vivant est encore peu clair, et traditionnellement chimie et biologie étaient deux disciplines bien séparées. Il faut attendre 1842 et les travaux de Justus von Liebig (qui est surtout passé à la postérité pour avoir inventé le bouillon cube) pour que le lien entre métabolisme et réactions chimiques soit fermement établi. Mais à cette époque on comprend encore assez mal comment ces molécules peuvent bien fonctionner. Beaucoup de chercheurs (dont Pasteur, en opposition à Liebig) pensaient alors que l’activité d’une enzyme était toujours liée à une force vitale et que les cellules productrices d’enzyme devaient donc être vivantes pour que les réactions chimiques aient lieu.

Dès 1872, la médecin russe Maria Manasseina avait pourtant publié des travaux expérimentaux montrant que la fermentation alcoolique pouvait se produite hors du milieu cellulaire. Mais la controverse ne s’acheva finalement qu’en 1897, quand Eduard Buchner obtint des résultats similaires (en s’abstenant bien de mentionner ceux de sa prédécesseure, dont il avait pourtant eu connaissance…) en obtenant de la fermentation alcoolique avec un extrait de levure dépourvu de cellules (et donc absolument pas vivant). Lesdits résultats lui valurent d’ailleurs le Prix Nobel de Chimie en 1907 (soit 4 ans après la mort de Maria Manasseina) : Bouillon cube 1 – Vaccin anti-rabique 0.

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(image de Natacha Gillet)

Au début du 20ème siècle, les choses se mettent à bouger un peu plus pour nos protéines. Déjà, les chimistes finissent par comprendre que les acides aminés qui les composent sont associés via des liaisons peptidiques. Puis, dans les années 1920-1930, de nouvelles méthodes expérimentales permettent d’évaluer leur masse (venant ainsi confirmer qu’il s’agit bien de très gros bestiaux moléculaires). Enfin, à partir des années 1940, on commence à s’attaquer à la détermination de la séquence, l’enchaînement des acides aminés le long de la chaîne protéique. En 1955, Frederick Sanger réussissait à établir la séquence primaire des 51 acides aminés de l’insuline (ce qui lui vaudra un prix Nobel trois ans plus tard). Il ne restait alors plus qu’à savoir quelle forme ces énormes molécules pouvaient bien prendre dans l’espace. Cet objectif fut atteint par la cristallographie, dont nous allons vous conter la grande aventure la semaine prochaine.