On parle souvent d’évolution des protéines pour discuter l’acquisition de nouvelles fonctions au fil du temps et des modifications de la séquence. Mais il arrive aussi que des protéines perdent une fonction au cour de l’évolution, et c’est par exemple le cas de HP1, l’architecte déchue.

Les HP1 (pour heterochromatin protein 1), sont des protéines impliquées notamment dans la formation de la chromatine. Elles font donc partie de la grande escouade protéique chargée de s’assurer du bon rangement du matériel génétique dans le noyau cellulaire. On les rencontre dans une grande variété d’organismes eucaryotes, des levures aux mammifères, mais leur activité varie grandement d’une espèce à l’autre.

Dans la levure et les drosophiles, par exemple, les HP1 se font gardienne du temple, et régulent l’accessibilité à l’ADN des protéines de transcription. Elles aident aussi à la séparation des chromosomes lors de la division cellulaire, et interagissent avec la cohésine pour permettre un bon repliement de l’ADN. Chez les mammifères, les HP1 sont également impliquées dans la réparation de l’ADN.

Enfin, les HP1 sont impliquées dans les séparations de phase liquide-liquide (LLPS), un phénomène qui passionne les biologistes cellulaires depuis quelques décennies, où des protéines vont se regrouper en gouttelettes (on parle souvent de condensats). Ces condensats représentent un environnement bien particulier qui permet la formation d’hétérochromatine, un mode de repliement particulièrement compact de l’ADN.

D’une espèce à l’autre, toutes les HP1 présentent une structure similaire. Soit deux domaines bien repliés, et connectés par un fragment (linker) désordonné. Du côté N-terminal, il y a le chromo-domain, le plus souvent en charge d’interagir avec d’autres protéines. Et côté C-terminal, on trouve le shadow chromo-domain (scd), qui a plutôt tendance à s’associer à d’autres scd de HP1 (on dit qu’il forme des homo-dimères). Entre ces deux domaines, le linker présente une longueur variable, et il semble que celle-ci ait diminué au cours de l’évolution. Ainsi, la taille du linker passe-t-elle de 300 acides aminés chez le levure, à 200 acides aminés chez la souris, ce qui entraine aussi une diminution du désordre de ce fragment désordonné.

Chromo domain de HP1 (en cyan, pdb 1guw) et shadow chromo domain sous forme dimérisée (en magenta et violet, pdb 1s4z). Les deux domains sont connectés par un linker désordonné marqué en pointillés.

Dans une étude récente, des équipes de recherche de Toulouse, Grenoble et Montpellier ont montré que ce raccourcissement du linker d’HP1 a pour conséquence une diminution de la capacité de la protéine à former des condensats. Au point que chez les mammifères, certains variants de HP1 sont même incapables de former ces condensats. Ce sont désormais d’autres protéines qui se chargent de réguler la formation de l’hétérochromatine, comme par exemple certaines protéines à doigts de zinc. Pour autant, les HP1 ne sont pas devenues inutiles dans ces organismes, loin de là. Au fil du temps elles ont acquis de nouvelles fonctions dans la cellule, et plutôt que de déchéance, il serait donc plus correct de parler de réorientation.