Dans l’antiquité, le nécromancien était celui capable de faire parler les morts en vue de prédire l’avenir. De nos jours, il existe toute une classe de scientifiques qui oeuvrent à la résurrection de protéines depuis longtemps disparues pour mieux reconstruire l’histoire du vivant.
On a déjà vu sur ce blog que l’étude de protéines anciennes (via la paléoprotéomique) pouvait nous apprendre beaucoup de choses sur nos ancêtres. Mais quand les traces de ces protéines ont complètement disparu, il est également possible de les faire revenir d’entre les morts. Pour cela, il faut déjà réussir à déterminer leur séquence, ce qui nécessite de rassembler tout un groupe de protéines apparentées (par exemple une même protéine présente chez un grand nombre d’organismes distincts) et de reconstruire le grand arbre généalogique de cette famille protéique. L’étude attentive de ces séquences et de leurs variations d’une branche à l’autre de l’arbre va alors permettre de retrouver les séquences d’ancêtres communs à plusieurs branches, et qui ont aujourd’hui disparu. Après reconstruction des ces protéines, on peut étudier leur structure et leur fonctionnement et les comparer à ceux de leurs lointaines descendantes. Ces études nous permettent d’en savoir plus sur les processus évolutifs, mais également sur les caractéristiques de l’environnement (par exemple en terme de température ou de pH) dans lequel les organismes anciens vivaient.

Cette approche pour remonter le cours de l’évolution est née il y a déjà plus d’une trentaine d’années, mais il a fallu attendre encore près d’une décennie pour que les techniques expérimentales soient suffisamment au point et que la nécromancie protéique prennent enfin son envol. C’est ainsi que la résurrection de protéines ancestrales a permis de mieux comprendre le processus de fermentation et de production d’alcool par les levures (un sujet absolument crucial dans l’histoire de l’humanité). Alors que nos levures contemporaines sont équipées de deux enzymes de type alcool-deshydrogenase, ADH1 qui fabrique de l’éthanol, et ADH2 qui peut dégrader celui-ci, il semble que ces deux enzymes ont évolué à partir d’un ancêtre commun (ADHa) capable seulement de produire de l’éthanol. La duplication du gène ancestral pour donner ADH2 aurait eu lieu il y a près de 80 millions d’années, quand ces organismes ont acquis la capacité d’accumuler l’éthanol afin de l’utiliser ultérieurement comme source d’énergie.
Plus récemment, une équipe de recherche japonaise s’est penchée sur la myoglobine des baleines. Cette protéine, qui nous sert de réservoir à oxygène (alors que sa cousine l’hémoglobine est plutôt affectée au transport de celui-ci) joue un rôle crucial dans les muscles des mammifères marins, où elle est beaucoup plus concentrée que chez leurs voisins terrestres. Pour mieux comprendre ce processus de concentration, les scientifiques ont reconstitué une myoglobine d’un lointain ancêtre terrestre, et ont comparé celle-ci avec les myoglobines des mammifères marins actuels. Dans une autre étude portant sur les chauves-souris, une équipe chinoise a quant à elle reconstruit les récepteurs gustatifs de plusieurs ancêtres dispersés le long de leur arbre généalogique, et montré comment les espèces actuelles, qui sont frugivores ou insectivores, ont évolué depuis un ancêtre commun omnivore.

Depuis quelques années, il existe même une base de données dédiée à ces protéines revenues d’entre les mort (dont certaines datent d’il y a plusieurs milliards d’années) et joliment baptisée Revenant. En nous permettant de mieux comprendre les processus évolutifs (et notamment d’identifier les résidus qui ont joué un rôle central dans l’apparition de nouvelles fonctions protéiques), la reconstruction de protéines ancestrales nous donne aussi les clés de l’ingénierie protéique de demain. Un vrai travail de nécromancien donc.